La Corée du Sud en 100 questions séduira les coréanophiles, les amateurs, désireux d’avoir une connaissance panoramique de la vie du pays, sans avoir à rentrer dans de multiples ouvrages, journalistiques ou savants, qui abondent en langue française.
Le livre de Juliette Morillot balaie un large spectre qui va de la fondation du (des) pays jusqu’à l’élection du président Yun qui prendra ses fonctions en ce mois de mai. L’ouvrage donne un aperçu presque exhaustif de la vie sociale, politique et culturelle du pays. Il est inutile de préciser qu’avec ce format c’est un digest qui est donné. Certaines des questions soulevées qui demanderaient qu’un ouvrage entier leur soit consacrée sont ici abordées en courts chapitres de 3 pages, le plus souvent sur des thèmes complexes, par exemple la structure traditionnelle de la société coréenne ou encore la maîtrise du destin d’un pays. Il faut un certain talent pour aborder des questions aussi difficiles, aussi complexes, en mobilisant des sources de qualité, des statistiques crédibles et ne pas craindre de se lancer dans un projet éditorial risqué. L’amplitude des questions posées par Juliette Morillot, de l’histoire antique de la Corée aux questions de société les plus actuelles comme vous le phénomène 혼 hon (solitude) démontre une connaissance du pays et de sa culture aussi large que profonde. L’auteure s’est rendue en Corée en 1983 pour y suivre des études et, affectivement autant qu’intellectuellement, n’a plus quitté le pays depuis. C’est le résultat de cette fréquentation sur le temps long qui nous est donné ici de lire.
On pourra lire cet ouvrage en continu ou bien piocher dans les différentes questions en fonction de sa curiosité ou de la nécessité du moment. Le type d’ouvrage que l’on peut garder à portée de main quand besoin s’en fait sentir. Si La Corée du Sud en 100 questions n’évite pas les pièges tendus par le format, on lui trouvera comme mérite principal de ne pas éluder le point de vue de l’auteure. En ce sens, l’ouvrage n’a rien d’un descriptif clinique de la société coréenne.
Le sous-titre La tyrannie de l’excellence n’est pas sans poser de questions supplémentaires. Si la Corée du Sud est connue pour être le pays en recherche permanente d’excellence, notamment en matière technologique où économique, on ne peut pas dire qu’il en soit de même sur le plan social. Que cette exigence d’excellence se paie au prix fort n’étonnera personne. L’excellence est aussi une forme de revanche sur le passé, quand la Corée était piétinée par les hordes barbares, méprisée par les autres nations, colonisée par le Japon dans l’indifférence internationale. Au ressentiment, condition nécessaire mais non suffisante pour puiser dans la motivation de quoi se développer, il faut sans doute ajouter la griserie des premiers succès des Jeux Olympiques de 88, le fait d’avoir surmonté la crise économique de 97, et les premiers effets du soft-power, qui furent autant de figures d’un narcissisme collectif pour accélérer encore le processus de modernisation libérale, au point que les conséquences sociales autant que sociétales sont toujours difficiles à évaluer.
Les indicateurs ne sont pas au beau fixe : taux de suicide, consommation d’alcool et de psychotropes, gouffre intergénérationnel, grande pauvreté des écartés de la croissance. Ces difficultés se retrouvent même dans l’image que se font les Coréens de leur pays, visible dans les dramas, au risque de développer un masochisme collectif. La Corée, victime et victimaire, et la Corée pratiquant l’auto-détestation en pointant la corruption massive à tous les niveaux, la précarité des jeunes, sont bien les deux mêmes Corée. Mais d’autres maux s’apprêtent à faire plus de dégâts encore. Certes, ils ne sont pas propres à la Corée du Sud, mais ils auront sans doute une résonance plus forte dans ce pays où la communauté longtemps structura l’organisation sociale. La montée de l’individualisme, apparue en France dans les années 70, fit son apparition en Corée du Sud dans les années 90 concomitamment à la montée en puissance de la société de consommation.
L’émergence de l’individu qui ne peut être ni contestée ni combattue, pose la question de savoir comment concilier individu et société, affaiblissement de l’État et solutions individuelles, communauté et engagement personnel. Autant de questions que suscite la lecture de cet ouvrage. Gardez ce livre à portée de main, il répondra rapidement à une interrogation que vous vous poserez, autant qu’il sera l’amorce d’un sujet à approfondir. En somme, un livre bréviaire.
La Corée du Sud, la tyrannie de l’excellence en 100 questions
Juliette Morillot
Tallandier, 19,90€
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