L’avenir serait-il voué à être invivable pour l’humanité ?
C’est ce que semblent penser les auteurs de science-fiction dystopique. Cela est dû au genre de la dystopie en lui-même, qui se veut inquiétant et oppressant, mais aussi à la vision que les auteurs ont du monde actuel.
La dystopie est un type de récit souvent associé à la science-fiction, au sein duquel les auteurs créent une société fictive où l’individu se retrouve piégé par une autorité écrasante. Elle se construit en opposition à l’utopie, qui est la représentation d’un monde idéal. Elle est souvent l’occasion pour les écrivains d’extrapoler l’étendue des conséquences que notre société pourrait avoir sur le futur. Elle devient alors une anticipation catastrophique de notre avenir et laisse entrevoir les conflits éthiques et moraux qui pourraient un jour diviser l’humanité, comme dans le fameux roman Soleil Vert (1966) de Harry Harrison, ou encore Fahrenheit 451 (1953) de Ray Bradbury. Les auteurs y étudient les conséquences que pourraient avoir des grandes famines mondiales, ou les proportions que pourrait prendre la censure sous un régime dictatorial établi, car ce sont des sujets d’angoisses qui préoccupaient particulièrement la population à l’époque de la parution de ces œuvres.
La dystopie offre donc un certain recul à l’auteur et à ses lecteurs sur des sujets d’inquiétude contemporains. La science-fiction dystopique pourrait être comparée à un Palais des Glaces, cette attraction de fête foraine qui nous renvoie un reflet déformé de notre apparence. Elle grossit les traits les plus importants de notre monde pour créer un reflet déformé de la réalité.
Si la dystopie est directement liée aux angoisses des auteurs qui les écrivent, nous pouvons imaginer sans peine que la dystopie d’un auteur français ou britannique ne sera pas la même que celle d’un auteur coréen. Les auteurs se basent sur leurs inquiétudes personnelles, qui découlent souvent du fonctionnement de leur propre pays, pour créer des sociétés futuristes qui paraissent réalistes. Une dystopie sud-coréenne permet d’analyser la façon dont les Coréens perçoivent leur propre pays et la façon dont ils l’imaginent évoluer.
Il est alors intéressant de se demander : quelles sont les caractéristiques d’une dystopie sud-coréenne ?
Malheureusement, de nos jours, la science-fiction coréenne n’est que très peu traduite en français. Pour cette raison, notre analyse sera principalement basée sur les deux premiers tomes de la série Les Machineries de l’Empire de l’auteur américano-coréen Lee Yoon-Ha, ainsi que sur certaines œuvres coréennes qui ne sont pas encore disponibles en français – et que nous espérons sincèrement voir être traduites en français un jour.
Les grands thèmes de la dystopie coréenne
L’un des grands thèmes de la science-fiction en général est l’avancée technologique. L’évolution technique et scientifique est un des traits définitionnels du genre et pour la plupart des gens, le terme « science-fiction » évoque des œuvres qui dépeignent un futur envahi de robots, de vaisseaux spatiaux et de détails futuristes invraisemblables. Mais ces avancées de la science et de la technologie, qui sont souvent difficiles à comprendre pour des néophytes de ces domaines et qui semblent toujours repousser les limites de l’impossible, fascinent autant qu’elles inquiètent. Dans les dystopies, elles deviennent souvent des menaces pour l’Homme. Mais qu’en est-il des œuvres sud-coréennes ?
Dans notre exemple principal, la série Les Machineries de l’Empire de Lee Yoon-Ha, un empire surpuissant appelé l’Hexarcat règne sur le monde et essaye d’étendre son influence sur le reste de la galaxie. L’intérêt principal de l’Hexarcat est d’imposer son système calendaire, appelé le Haut Calendrier, dont dépend le fonctionnement de la technologie complexe qu’il utilise – ses moyens de communications, ses armes et ses vaisseaux. La technologie est d’amblée présentée comme un élément essentiel au fonctionnement du monde, un facteur qui s’est infiltré dans la vie de chacun et dont on ne peut plus se passer. Mais elle est aussi une façon pour le gouvernement d’asseoir son autorité.
Les vaisseaux et les armes de l’Hexarcat sont suffisamment puissants pour garder à distance les « hérétiques », ceux qui refusent de se conformer au régime de l’Empire. Les romans de Lee Yoon-Ha sont parsemés de scènes de combats violentes, et d’autant plus impressionnantes que la puissance des armes de l’Hexarcat semble ne pas avoir de limite.
Les citoyens de cet Empire sont aussi très contrôlés : ils sont divisés en six castes, dont les Kels qui forment les soldats de l’Empire. Si cette armée permet à l’Hexarcat de contrôler la moitié de la galaxie, c’est grâce à « l’instinct de formation » ; une technologie qui est injectée aux soldats pour les pousser à exécuter tous les ordres de leurs supérieurs. Cela les rend loyaux et obéissants en toute circonstance, dénués de toute volonté. L’instinct de formation est l’outil de contrôle parfait.
Cette idée d’emprise se retrouve aussi dans les œuvres de l’auteure Jeong So-Yeon. Dans sa nouvelle « La Floraison » (독재자, Dokjaeja), qui se passe dans une Corée du Sud futuriste, le gouvernement contrôle l’accès à internet de chaque citoyen et les observe à travers des caméras placées dans tout le pays. Cette surveillance atteint un tel niveau que, lorsque la narratrice est soupçonnée de vouloir se rebeller contre l’État, celui-ci place une camera directement dans son salon. La population est rendue complètement paranoïaque par ce contrôle constant et c’est pour cela que certains tentent d’endiguer la surveillance de l’État, en développant des routeurs Wi-Fi autonomes. Dans la nouvelle, ces routeurs illégaux prennent la forme de graines qui poussent et se développent lorsqu’elles entrent en contact avec la terre. Une fois que les graines de routeurs sont disséminées dans Séoul, une floraison technologique libératrice prend place et défait le contrôle du gouvernement.
« Cette nuit-là, lorsque les lumières rouges du trafic réseau sur nos télévisions, nos écrans d’ordinateurs et sur les caméras de surveillance se sont toutes éteintes en même temps, et que tous ces bourgeons rouges qui avaient fleuris dehors étendirent leurs pétales ? Oh, c’était vraiment magnifique… »
« La Floraison » (2010), Jeong So-Yeon, notre traduction
Ici, nous retrouvons un second thème récurrent de la science-fiction : la lutte entre la technologie et la nature. Qu’il s’agisse de la nature humaine ou de la nature dans son sens le plus commun, elle se retrouve presque systématiquement en conflit avec la technologie. Dans « La Floraison », la technologie est à la fois l’alliée et l’ennemie de la nature lorsque les résistants décident de combattre le feu par le feu à l’aide de leurs routeurs illégaux. Mais dans de nombreux cas de dystopie – sud-coréenne ou non – la technologie n’est rien d’autre qu’une menace pour l’humain.
Dans Les Machineries de l’Empire, les avancées technologiques de l’Hexarcat sont toujours présentées comme des vecteurs de violence. Leurs armes sont d’autant plus impressionnantes que l’étendu de leur destruction est difficile à concevoir malgré les descriptions de Lee Yoon-Ha. Dans Le Gambit du Renard, le premier volume de la série, une scène relate la mort d’un soldat Kel touché par l’attaque d’un « canon à amputation ». Le nom de l’arme suffit à faire frémir, et la description de ses effets est celle d’un carnage absolu. Les quelques pages durant lesquelles nous apprenons à connaître le soldat qui s’apprête à mourir ne font que renforcer le bouleversement qu’est la description de sa mort.
« [Elle] tomba. Ce fut douloureux. Elle sentait des odeurs de sang et de merde, entendait des objets qui s’entrechoquaient. Quelque chose s’écrasa lourdement contre ses vertèbres. […] Une bonne partie de son nez avait disparu. Du sang partout. » (p.318-319)
Le Gambit du Renard (Folio SF, 2018), Lee Yoon-Ha
Et si la technologie représente ici une menace physique, elle est aussi pour les personnages la source de conflits internes, éthiques et identitaires. Nous avons déjà mentionné l’instinct de formation que l’Hexarcat injecte aux soldats Kels pour les contrôler. En perdant ainsi le contrôle de leur corps, les Kels sont transformés en armes, de simples outils dans la politique d’expansion de l’Empire. Si l’Hexarcat leur ordonne de tuer, ils tuent. Si l’Hexarcat leur ordonne de mourir, ils meurent. Dépourvus de leur libre-arbitre, les Kels peuvent ils toujours être considérés comme humains ?
Encore une fois, il s’agit d’une thématique qui anime de nombreuses œuvres dystopiques sud-coréennes. Dans la nouvelle « Pourquoi les pèlerins ne reviennent ils pas ? » (순례자들은 왜 돌아오지 않는가, Sullyejadeureun wae doraoji anneunga) de Kim Cho-Yeop, une scientifique appelée Lily Daoudna développe une technique de modification génétique qui lui permet de modifier les embryons avant la naissance. Elle se sert de ses connaissances pour créer des êtres parfaits, autant dans leurs capacités physiques que mentales. Cependant, Lily ne travaille pas gratuitement, et seule la partie la plus riche de la population peut s’offrir ses services. Au fil des années, cela crée une division au sein de la société, entre une population riche qui a pu subir des modifications génétiques pour atteindre la perfection, et le reste de la population qui ne peut pas se le permettre. La lutte des classes s’intensifie jusqu’à ce que Lily, horrifiée par le monde qu’elle a créé, disparaisse pour construire un nouveau monde plus juste ailleurs.
Au cours de cette nouvelle, nous apprenons que Lily s’est intéressée aux modifications génétiques car elle est elle-même née avec une malformation qui l’a défigurée. Son but était d’offrir une vie parfaite aux futures générations, une chance qu’elle n’a jamais eue. Mais un jour, Lily s’aperçoit qu’un des embryons sur lequel elle travaille a la même malformation qu’elle. Prise dans un dilemme éthique, Lily réalise que se débarrasser de cet embryon pour le remplacer par un autre serait comme admettre qu’elle-même n’avait pas mérité de naître.
Lorsque l’avancée technologique et scientifique semble ouvrir le monde à toutes les possibilités, il est parfois difficile de distinguer ce qui est moral de ce qui ne l’est pas, de faire la différence entre l’humain et l’inhumain.
Les transformations physiques et génétiques, que ce soit dans les œuvres de Kim Cho-Yeop ou dans d’autres écrits dystopiques sud-coréens, soulèvent aussi une question essentielle et récurrente dans la science-fiction : celle de l’identité.
Est-ce que se faire modifier génétiquement change la personne que nous sommes ? Et qu’en est-il d’un changement de corps ? Si notre esprit est déplacé dans le corps d’un autre, sommes nous toujours vraiment nous-même ? Et si deux esprits se retrouvaient dans le même corps ? Une fois que le monde s’ouvre à de telles possibilités scientifiques, la notion d’identité se retrouve mise à mal. C’est notamment le cas dans Le Stratagème du Corbeau, le second tome de la série de Lee Yoon-Ha.
Le premier tome de la série Les Machineries de l’Empire est raconté du point de vue de Cheris, une commandante Kel qui se voit confier une mission un peu particulière : l’Hexarcat lui demande de partager son corps avec l’âme d’un tueur sanguinaire appelé Shuo Jedao, afin qu’il l’aide à reconquérir une forteresse prise par l’ennemi. Le Gambit du Renard suit donc l’histoire de ces deux personnages, obligés de cohabiter dans un seul corps. Ils sont l’antithèse l’un de l’autre : Cheris est une Kel loyale qui a l’habitude de suivre les ordres, alors que Jedao est un stratège qui suit ses propres règles et se sert du chaos qu’il créé pour remporter ses batailles. Cheris doit tout faire pour suivre les conseils de Jedao sans le laisser la manipuler. Ce premier tome se conclut sur un épisode confus ; Cheris se nourrit des souvenirs de la vie de Jedao, ou peut-être est-ce Jedao qui s’infiltre en Cheris ? Une seule chose est sûre : la double identité prend fin et un seul être subsiste dans le corps. Mais de qui s’agit-il ?
Dans le second tome, Le Stratagème du Corbeau, le mystère reste entier. La narration n’est plus faite que par des personnages extérieurs et il est impossible de savoir qui de Jedao ou Cheris a survécu. On croit reconnaître la démarche de Jedao, la gentillesse de Cheris, l’humour de l’un, la logique de l’autre… Comme s’ils avaient fusionnés pour former une nouvelle personne.
« Cheris lui adressa le sourire de Jedao. » (p.413)
Le Stratagème du Corbeau (Folio SF, 2020), Lee Yoon-Ha
L’identité perd de son sens, elle n’a plus rien de concret. Lorsque deux personnes sont capables de n’en former plus qu’une, et qu’un être peut se faire complètement modifié génétiquement avant même de naître, il devient impossible de savoir ce qui est réel et ce qui ne l’est pas, voire de se reconnaître soi-même.
Cette perte d’identité qui touche les personnages de dystopies n’est pas uniquement individuelle ; en réalité elle est symptomatique d’une société où seule la performance compte.
Dans Les Machineries de l’Empire, le seul but de l’Hexarcat est de contrôler la galaxie. Après des siècles de conquête, l’Empire compte et coordonne des milliers de citoyens qu’il essaie de contrôler de différentes façons – en imposant le Haut Calendrier, en divisant la population en castes et par la technologie. Chaque nouvelle planète conquise se doit de s’adapter à une société « de conformistes rigoureux » (Le Stratagème du Corbeau, p.59) : une société où chacun doit aider à la conquête spatiale en accomplissant le rôle de sa caste. Dans un tel monde, l’individualité est une perte de temps. Pour que la conquête soit efficace, il ne faut pas s’attarder sur des différences culturelles futiles : au sein de l’Hexarcat on ne parle qu’une langue, on ne célèbre que les fêtes et les coutumes de l’Empire, on ne respecte que le Haut Calendrier. Pour survivre dans une telle société, il vaut mieux oublier qui l’on est.
L’auteure Jeong So-Yeon crée une société similaire dans sa nouvelle « Décès » (입적, Ibjeok). Dans cette nouvelle, un Pilote travaille au sein d’une Entreprise qui semble contrôler chaque détail de sa vie depuis son plus jeune âge. Le Pilote a été élevé au sein de l’Entreprise, il y a rencontré son compagnon, il y a appris son métier. Lorsque son compagnon décède, c’est l’Entreprise qui se charge des funérailles et de l’accompagnement psychologique du Pilote. Jeong So-Yeon fait tout pour nous donner l’impression que le monde qu’elle crée est un paroxysme du capitalisme où gouvernement autoritaire et entreprise privée ne feraient plus qu’un. Le personnage principal n’y est plus un humain, c’est un employé, la pièce d’un rouage, un outil. Il n’a même pas de nom, il n’est désigné que par son métier ; le Pilote. Après avoir subi le décès de la seule personne à laquelle il était lié, le Pilote se sent complètement détaché du monde :
« Je vais probablement finir par vivre très longtemps. À la dérive entre une maison et une autre. »
« Décès » (2009), Jeong So-Yeon, notre traduction
Les auteurs de dystopie sud-coréens ont l’air de s’accorder sur l’idée que notre monde risque d’évoluer vers une poursuite de la réussite et un conformisme inévitable. Dans des mondes-entreprises comme ceux de Lee Yoon-Ha et Jeong So-Yeon, il n’y a pas de place pour l’identité individuelle ou culturelle. Et la science-fiction n’est pas la seule à exposer ce genre de craintes.
Des thématiques artistiques courantes
La dystopie sud-coréenne se qualifie principalement par sa crainte de l’avancée technologique et des conséquences qu’elle pourrait avoir. La technologie serait un outil de contrôle, une porte ouverte à l’immoralité et une menace pour l’individu. Ces thèmes de la science-fiction sont courants, et en réalité, ils se retrouvent aussi dans l’art pictural de la Corée du Sud.
En 2020, le peintre Kim Se-eun peignait le tableau Pont Submersible (잠수교, Jamsukyo), dans lequel il représente de façon très abstraite une ville observée d’un point de vue aérien, ville qui a l’air d’être une métropole pleine de mouvements et de couleurs. Dans les contours flous de son œuvre, on imagine sans mal le haut des gratte-ciels, les néons des enseignes de magasins et le flot de personnes et de véhicules qui se déverse sans cesse dans les rues. La ville n’est plus qu’un amas confus de mouvements et de couleurs, ce qui provoque une certaine anxiété chez celui qui la regarde. On retrouve ici des traces de la ville de science-fiction : dans le futur tout se doit d’être efficace et rapide, ce qui peut parfois créer une confusion, une impression de se faire submerger par la ville.
Ce tableau rappelle aussi la façon dont Lee Yoon-Ha présente la technologie de son monde : dès les premières pages, nous sommes plongés dans un univers plein d’éléments robotiques et technologiques étrangers qui ne sont presque pas expliqués. Nous devons poursuivre la lecture sans aucun repère, sans lexique explicatif, dans une confusion totale.
Dans une série de photographies de 1989 intitulée Fait moi (자기 만들기, Jagi mandeulgi) l’artiste Min Yeong-sun expose quatre portraits rapprochés de son visage auxquels sont superposés les mots (en anglais) : « model minority » (minorité modèle), « exotic immigrant » (immigrant exotique), « assimilated alien » (étranger assimilé) et « objectified other » (autre objectivé). Min se sert de ces photos pour explorer sa double identité américaine et coréenne, et surtout l’oppression et le racisme qu’elle subit à cause de cette double identité. Sur les photos, Min adopte une gestuelle stéréotype asiatique (les mains jointes comme si elle saluait « à l’asiatique », une main qui tire sur sa paupière pour lui donner les yeux bridés), des gestes qui ont surement été fait par d’autres devant elle pour l’insulter.
Le nom de l’œuvre est en coréen mais le texte sur les photographies est en anglais : c’est une trace de la dualité de l’artiste. Autre dualité : les expressions inscrites sur son visage se veulent être des compliments positifs mais renferment des idées racistes et sont aujourd’hui considérées comme profondément offensantes. C’est une œuvre qui s’intéresse à l’identité, à l’idée que celle-ci se retrouve agressée par la société moderne et que chacun se voit donner une place à laquelle il est censé se conformer.
Enfin, la série Stranger than paradise (Plus étrange(r) que le paradis) de la photographe Joo Hwang porte un titre anglais, qui joue sur le double sens de stranger, qui signifie à la fois « étrange » et « étranger ». Pour cette série, l’artiste a photographié des inconnus dans les rues de New York pendant les années 1990, époque où elle était partie étudier aux États-Unis. À travers ces photos, elle explore son identité en tant que femme asiatique étrangère dans une société occidentale. En dehors du fait qu’elles soient asiatiques, les personnes qu’elle photographie n’ont rien en commun. Pourtant elles confèrent toutes le même sentiment d’anxiété et de solitude, le genre de sentiment d’aliénation que l’on ressent dans un lieu étranger. Cette série rappelle la façon dont se sentent les personnages de science-fiction, perdus sans identité dans une société dystopique qui les a privés de la notion de « chez-soi ». Ce sentiment n’est pas seulement réservé à la fiction et semble déjà exister chez les diasporas asiatiques des États-Unis.
Un avenir plus proche qu’on ne le croit
Les thématiques de la dystopie sud-coréenne sont en réalité des idées souvent explorées dans la science-fiction. Les conséquences morales des avancées scientifiques étaient déjà une des préoccupations de Mary Shelley lorsqu’elle a écrit Frankenstein ou le Prométhée moderne en 1818. La surveillance oppressante d’un gouvernement omniprésent est le thème central de classiques de la science-fiction, comme 1984 (1949) de Georges Orwell. Quant à la notion d’identité, elle est une source d’angoisse pour tous les domaines des sciences humaines depuis des siècles.
Ce qui fait la particularité de la dystopie sud-coréenne, c’est que les thématiques que nous avons évoquées semblent s’y concentrer pour former des mondes sinistres, et parfois d’autant plus inquiétants qu’ils n’ont pas l’air si éloignés du nôtre. La surveillance intrusive que subissent les personnages de « La Floraison » rappelle les caméras à reconnaissance faciale de la Chine. Les castes de l’Hexarcat et les inégalités que Kim Cho-yeop décrit dans ses nouvelles pourraient être comparées à celles de la société indienne. La course à la réussite qui écrase l’individu au point de le faire douter de sa place dans le monde semble presque être une métaphore du système scolaire sud-coréen.
Si en Corée du Sud les thèmes de la dystopie se retrouvent aussi dans l’art contemporain, c’est parce que le futur se rapproche à grand pas. La dystopie sud-coréenne marque les esprits parce qu’elle décrit un avenir de moins en moins distant.
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