Un soir d’hiver dans un petit village de campagne. De la montagne s’élancent des stries d’orange et de rouge qui crépitent et dévorent le ciel nocturne. L’origine de l’incendie demeure inconnue, mais les dégâts sont annoncés le lendemain matin : poussé par le vent, le feu eut vite fait d’atteindre une unique maison avant d’être maitrisé. Ainsi ont péri dans les flammes Lee Sooja, petite dame âgée sans trop de connexions au monde extérieur, et son petit-fils Minho, à la réputation de voyou de bas étage. Seule rescapée : Minjue, sa petite-fille, qui a su s’extirper de la maison et s’en est sortie avec de belles brûlures.
Dans un si petit village de montagne, il faut avouer qu’un drame tel que celui-ci est rare ; si bien que Jisuk, journaliste et ancienne camarade de lycée de Minjue, se voit chargée par son supérieur de couvrir l’affaire et d’interroger la survivante. Mais voilà, les rumeurs vont bon train : accident ou acte prémédité ? Après tout, une belle jeune fille intelligente qui sacrifie son quotidien séoulien et revient s’installer dans son village natal pour prendre soin d’une grand-mère qu’elle n’a que très peu fréquentée, n’est-ce pas une histoire un peu trop idéale ? Quant à son frère aîné, ne l’a-t-on pas vu harceler la grand-mère pour de l’argent, à de multiples reprises ? Aurait-il été pris dans son propre piège de flammes en voulant la tuer ? Et quel curieux hasard que les locataires du premier étage soient partis en voyage.
C’est pour mieux te manger est évidemment une référence directe au Petit Chaperon rouge, récit européen issu de la tradition orale. La version coréenne reprend même le titre exact – Ppalgan moja 빨간 모자, littéralement « Chapeau rouge ». La division des parties du livre fait elle aussi référence aux personnages emblématiques du conte : le Chasseur, le Loup, la Grand-mère et le Chaperon rouge. Comme dans le célèbre conte pour enfants, Minjue est envoyée prendre soin de sa mère-grand ; mais attention, le loup rôde. Kim Ji Yeon confère au Chaperon de notre histoire la naïveté qui lui est donnée dans la version de Perrault, et le soutien qu’elle reçoit du Chasseur dans la version des frères Grimm. Face à elle, nous retrouvons un grand méchant aux motivations torturées, un loup partagé entre des désirs obsessionnels beaucoup plus profonds que la simple envie de croquer le chaperon.
« Que tu es naïve… et tellement sensible. Tu n’imagines pas un instant que tes émotions se lisent sur ton visage. Il y a d’ailleurs tant de choses dont tu ne te rends pas compte. »
Kim Ji Yeon livre ici une intrigue qui fonctionne à reculons : de l’incendie, on remonte un à un les événements antérieurs qui ont amené à ce soir fatidique. Le récit gagne en profondeur avec chaque retour en arrière, et le « loup » pourrait sommeiller à bien des endroits.
En somme, C’est pour mieux te manger est un polar très prenant. On sent néanmoins une traduction fidèle au texte original, manquant parfois un peu de naturel en français mais sans entrer dans la traduction littérale pour autant. Au fil des pages, on découvre également une grand-mère forte de caractère, le tout sur un fond de commentaire social qui n’est pas sans rappeler La vieille dame au couteau. Pour un premier roman, Kim Ji Yeon réussit sans mal à nous tenir en haleine.
« Ici, en Corée, qui mène la vie dont il a rêvé ? Au final nous acceptons tous notre destin et renonçons à nos idéaux. »
C’est pour mieux te manger
Kim Ji Yeon
Traduit du coréen par LEE E.J. & Anne BERTHELLEMY
Matin Calme, 231 pages, 19,90€