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Lapin maudit

Un lapin vengeur, une tête au fond des toilettes, un accident de voiture, un renard au sang d’or, un prince aveugle… À travers dix nouvelles pour le moins déroutantes, Chung Bora perturbe la scène littéraire contemporaine.

Dissimulé dans l’obscurité, un lapin vengeur cause la chute d’une famille de nouveaux riches. Dans un futur indéfini, une scientifique tombe amoureuse de son androïde. Dans une contrée lointaine, un jeune garçon enchaîné au fond d’une grotte subit les tortures infligées par « la Chose ». Sur une place en Pologne, le fantôme d’un vieil homme erre… Pour cette première publication à l’étranger, Chung Bora frappe fort avec dix nouvelles fascinantes et dérangeantes allant du fantastique (« Lapin maudit », « Le piège », etc.) à l’horreur (« La tête », « Les doigts glacés », etc.), en passant par la science-fiction (« Au revoir, mon amour »).

« Jeter une malédiction, c’est creuser deux tombes. » (p.31)

La nouvelle est un genre apprécié en Corée. Contrairement à la France, adepte de romans, la plupart des auteurs sud-coréens débutent leur carrière avec des nouvelles. L’histoire courte présente pourtant son lot de difficultés : le propos doit être succinct, l’action rapide, le texte fluide. Et Chung Bora excelle en la matière. Si Lapin maudit a été nominé au Booker Prize, ce n’est pas un hasard. Inspirée par le réalisme magique, les littératures d’Europe de l’Est et les contes traditionnels coréens, l’écriture de Chung Bora est pénétrante. Elle laisse ce sentiment d’angoisse et de fascination morbide qui « passe ou casse » : le lecteur devra garder l’esprit ouvert et accepter d’être bousculé.

Le recueil pourrait presque être une ode aux relations humaines fracturées : un rapport à la maternité menaçant, des pères corrompus et cruels, des amants infidèles, un amour irréalisable, des enfants forcés à la violence…

« La tête » est le récit horrifique d’une femme dont les déjections naturelles forment un être au fond de ses toilettes : « Je n’ai pas été engendrée par les mêmes voies que cet enfant, mais moi aussi, je suis le fruit de vos entrailles, mère. » (p. 41). Il s’agit par ailleurs de la première nouvelle de Chung Bora, pour laquelle elle remporte le prix littéraire Yonsei en 1998.

« Cicatrices » est le récit le plus long du recueil – celui d’un jeune garçon enchaîné dans une grotte, à la merci de « la Chose », un monstre insatiable qui suce sa moëlle épinière à intervalles régulières des années durant. Quand le garçon parvient miraculeusement à se libérer, son enfer n’en est pas fini pour autant : un chef de village le prend sous son aile pour le faire combattre dans des arènes souterraines.

« Le maître du vent et des sables » est peut-être l’histoire qui offre un peu de répit au milieu de ces atrocités, bien que le mensonge et une étrange malédiction soient des éléments centraux. Une jeune femme tombe amoureuse d’un prince aveugle et brave le désert pour briser sa malédiction.

« Qui fixe trop longtemps le soleil est condamné à perdre la vue. » (p.250)

En soit, Lapin maudit est un voyage. Le recueil contient son lot d’histoires cruelles et horrifiques, pourtant, impossible de décrocher les yeux des mots. En acceptant le bizarre plutôt que d’y chercher signification, le lecteur découvrira alors un univers des plus uniques.


Lapin maudit
CHUNG Bora
Traduit du coréen par Hervé PEJAUDIER et HAN Yumi
Matin Calme, 22€, 280 pages

A propos

Doctorante en littérature coréenne, j'ai découvert la Corée par la musique et le cinéma en 2010, et l'amour que j'ai pour ce pays n'a fait que s'étendre au fil des années. En termes de littérature, ma préférence va aux polars, drames et autres récits complexes. Ma recherche se focalise sur des thématiques sombres, très présentes dans la littérature contemporaine : mal-être, psychopathologie et mélancolie ; mais cela ne m'empêche pas d'apprécier les histoires plus joyeuses de temps à autre.

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