Chroniques Romans Styles & Cie

Une bonne fille

Dans son dernier roman, Hwang Jungeun propose une réflexion sur la famille, en interrogeant les dits, les non-dits, les relations, ainsi que le vécu de chacun de ses membres.

Mères coréennes
En Corée, au lieu d’appeler une mère de famille par son prénom, on l’appellera « maman de … ». Par exemple, on appellera Yi Sunil « maman de Yongjin » (용진 엄마 / Yongjin eomma).

Les Sud-Coréens accordent une grande importance à la famille, conséquence directe de l’influence du confucianisme sur le pays. Bien que cette tendance soit en recul notamment à cause de l’urbanisation, le modèle traditionnel de la famille coréenne englobe dans un même foyer parents et enfants ainsi que des membres plus éloignés, comme les grands-parents, les oncles, les tantes… De plus, et contrairement à la France, il n’est pas rare de voir les enfants habiter chez leurs parents jusqu’au mariage. Physiquement proches les uns des autres, comment imaginer les relations qu’entretiennent les membres d’une famille ? 

Depuis qu’elle est mère, Yi Sunil n’a qu’un seul souhait : celui de voir ses enfants mener une vie heureuse. Ainsi, il lui a semblé naturel de garder pour elle le récit de son enfance, marquée par la guerre de Corée et ses conséquences. Mais, quand elle décide de se rendre pour la dernière fois sur la sépulture de son grand-père pour y faire détruire les ossements, son passé semble refaire surface. 

« J’ai giflé Sunja et Sunja n’a même pas pleuré. Comment raconter cette histoire ? Par quoi commencer ? Ne sachant pas quoi dire, Yi Sunil s’est contentée de fixer Han Sejin en silence. »  (p. 82)

Jusqu’à présent, Yi Sunil a parlé de son passé de manière factuelle à ses enfants, en occultant les événements tragiques pour les protéger. Mais, quand elle se rend compte que sa fille cadette, Han Sejin, ne connaît pas l’une des personnes les plus importantes de sa vie à cause de ce procédé, Yi Sunil est bouleversée. Bien que les membres de cette famille se sentent proches les uns des autres, chacun a ses propres expériences et ses propres ressentis. 

Et ce sont surtout en considérant les personnages en tant qu’individus appartenant à un groupe que la lecture devient plus intéressante. Dans la famille, Yi Sunil a la fonction de mère, voire de grand-mère. On sait que quand elle enfile son tablier à l’aube, ce n’est que pour le quitter le soir, car elle s’occupe de son foyer à elle ainsi que de celui de sa fille aînée. On sait qu’elle aime ses enfants et s’inquiète pour eux. Pourtant, et alors que l’identité des mères coréennes est souvent effacée, c’est sur Yi Sunil en tant que personne à part entière qu’on se focalise. 

Cela vaut aussi pour les enfants : Han Yongjin, l’aînée, était la source de revenus de la famille pendant une mauvaise passe. Sous l’effet de l’alcool, il lui arrive régulièrement de parler de la proximité qu’elle entretient avec sa mère. Pourtant, un incident arrivé pendant l’enfance affecte toujours sa confiance en elle et elle se retrouve démunie lorsque sa mère décide de se confier. Han Mansu, le benjamin, est parti en Nouvelle-Zélande pour fuir la dépression qui l’accablait en Corée du Sud. Quant à Han Sejin, elle accompagne sa mère chaque année sur le sépulture du grand-père, bien que les deux femmes aient quelques différends. 

Les conflits familiaux, dissimulant en réalité de l’inquiétude, prennent souvent source dans les différences générationnelles : la définition d’un « foyer » varie selon les membres ; le mari de Yi Sunil, très attaché aux traditions, agit parfois de manière irrespectueuse ; le mari de Han Yongjin préfère les nouilles instantanées aux plats de sa belle-mère… 

Pourtant, les personnages ont forgé leur propre équilibre, quitte à se réfugier dans le silence quand la discussion bascule dans la confrontation ou la confidence. En écrivant son roman en quadrilogie, composée par « L’exhumation », « Ce que j’ai envie de dire », « Sans nom » et « Ce qui approche », et en alternant les points de vue, Hwang Jungeun met en lumière les opinions et les relations qu’ont les personnages les uns avec les autres. Elle réussit même à nous prendre à contre pied : au lieu de faire des longs dialogues, elle nous plonge dans les pensées des personnages et nous offre une place à la réflexion.

Et le paris est gagné puisque, bien qu’assez court, le roman réussit à questionner : qu’est-ce qu’on dit ? Comment le dit-on ? Qu’est-ce qu’on oublie ? Qu’est-ce que l’on pardonne ou non ? Bien que l’histoire soit ancrée en Corée du Sud, les questionnements sur la famille, la communication et son manque, ainsi que les différences générationnelles restent universels.  


Une bonne fille
Hwang Jungeun
Traduit du coréen par Jeong Eun Jin et Jacques Batilliot
Éditions ZOE, 160 pages, 18,50€

A propos

Titulaire d'une licence LLCER Trilangue Anglais-Coréen à l'Université Aix-Marseille, je suis actuellement en année de césure avant mon Master. Passionnée par la littérature et le cinéma, les productions coréennes me permettent d'aimer et de comprendre chaque jour un peu plus ce pays.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.