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La secte des suicidés

Avec La secte des suicidés, Jeong Hai-yeon signe un polar brutal et tordu.

Le jour du chien noir
Matin Calme, 2020.

Kim Tae-seong souhaite mourir. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, mais appelez ça la chance ou l’ironie du sort, il survit à son énième tentative de suicide. Consumé par le vide de son existence et le traumatisme familial qui le hante, il décide de rejoindre The Heaven, une communauté en ligne qui appelle au suicide collectif. Là au moins, il ne pourra pas se louper, n’est-ce-pas ? C’est de cette manière qu’il se retrouve dans une luxueuse demeure en montagne, isolée de tout, en compagnie de trois autres rejetés de la société – Choi Lin, Min Seo-ra et Jeong Tae-o – chaperonnés par le leader de la secte, Han Dong-jun, modestement surnommé le Messie.

« Soit on supportait la peur de la mort, soit on supportait celle de la vie, dans les deux cas il fallait trancher. » (p. 112)

La pulsion suicidaire, c’est le premier thème important de ce roman. Chang Kang-myoung en avait fait un véritable acte de révolte dans Génération B, et Song Si-woo montait elle aussi un club de dépressifs dans Le jour du chien noir pour retrouver le goût à la vie. Ici, l’objectif est clair : au diable les faux espoirs sur l’importance de la vie, on se retrouve à plusieurs pour se donner le courage de mourir ensemble.

Il y a toujours un danger à explorer la pulsion de mort dans une œuvre de fiction, mais Jeong Hai-yeon aborde le sujet avec beaucoup de réalisme, notamment en donnant une voix aux victimes de harcèlement scolaire ou de violences sexuelles. Le ton est lourd, critique d’une société imparfaite, mais c’est en voyant ces personnages toucher le fond et se battre pour survivre que le lecteur prend conscience de l’importance de la vie.

« La société croirait peut-être avoir réussi à arracher ces désespérés à la mort pour les rendre à la lumière, mais en réalité elle ne ferait que les plonger dans des ténèbres encore pires. » (p. 106)

Malgré une introduction tirant un peu en longueur, c’est au tiers du roman que le mystère s’épaissit et que les vrais problèmes commencent. En bourreau bourré de compassion, Han Dong-jun se propose d’aider ce club de laissés-pour-compte à partir paisiblement de la manière dont ils souhaitent, une ambiance digne de Kim Young-ha dans La mort à demi-mots. Mais voilà, le Messie n’en est pas à son premier rodéo : survivant de deux autres suicides collectifs, la police est sur ses talons.

Oui, les codes sont vus et revus : un protagoniste à la mémoire défaillante (un thème qui plairait aux adeptes d’un bon Franck Thilliez), un tueur sadique et brutal dont les parents n’ont pas dû lui donner assez d’amour, un policier résolu que personne ne veut écouter… Mais un des aspects intéressants de ce roman, c’est l’après-drame. Dans une seconde partie intitulée « Vivre », Jeong Hai-yeon s’intéresse aux répercussions juridiques et psychologiques d’une expérience si traumatisante. Un petit plus fort apprécié pour s’enfoncer dans les tréfonds de la psyché humaine avant de conclure le roman d’un ultime twist.


La secte des suicidés
Jeong Hai-yeon
Traduit du coréen par HAN Yumi et Hervé PÉJAUDIER
Matin Calme, 294 pages, 20,90€

A propos

Doctorante en littérature coréenne, j'ai découvert la Corée par la musique et le cinéma en 2010, et l'amour que j'ai pour ce pays n'a fait que s'étendre au fil des années. En termes de littérature, ma préférence va aux polars, drames et autres récits complexes. Ma recherche se focalise sur des thématiques sombres, très présentes dans la littérature contemporaine : mal-être, psychopathologie et mélancolie ; mais cela ne m'empêche pas d'apprécier les histoires plus joyeuses de temps à autre.

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