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Quand arrive l’hiver

Lee Soyung l’artiste-autrice qui monte, qui monte, avec ce nouvel opus plein de fantaisie, de poésie et de mystère…

Les enfants de la rivière
Album Picquier Jeunesse, 2012
©Lee Soyung Éditions de l’Élan vert, 2022

Quand arrive l’hiver est le troisième album de Lee Soyung, après Ici, ensemble maintenant et Ce n’est pas grave mon crapaud, et troisième émerveillement devant la créativité sans cesse renouvelée d’une autrice-artiste qui s’accomplit sous le regard des lecteurs et lectrices de Keulmadang, et beaucoup d’autres certainement aussi !

Cet album-ci est d’abord une ode à l’hiver, une saison qui signifie sans doute bien plus pour la Séoulite Lee Soyung que pour nous autres Français, car l’hiver coréen est franc, glacé et lumineux comme la tonalité de ce livre. Pour nous conter l’histoire d’un petit ectoplasme noir fumé translucide, le Génie de l’hiver, l’artiste fait vibrer les teintes froides du violet au gris en passant par plusieurs bleus, avec le blanc d’un manteau neigeux immaculé. Les scènes du quotidien du petit être, leur simplicité, contrastent avec le traitement extrêmement soigné et méticuleux de son environnement : tout est pesé et soupesé par l’artiste, le grain du papier, dont la porosité permet à la fois des effets étirés de la couleur, qui créent de mouvantes et délicates franges aux allures d’aurores boréales, et la transparence d’un travail d’aquarelle où rien n’est laissé au hasard.

L’autrice joue aussi sur le découpage de son récit, alternant des pages de cases régulières comme autant de photos de la ville illuminée la nuit, traitée dans des tons chauds qui flambent, avec des vues plus panoramiques, des plans rapprochés, aux coins arrondis comme une baie vitrée de wagon, pour focaliser le regard sur le parcours du petit elfe lorsqu’il volète en contemplant la vie autour de lui. Très vite, un enfant se détache, assis dans le métro, avec son bonnet et son écharpe rouges. L’elfe le suit, en transparence sur la double page toute empastillée des couleurs diffuses. Mais Solal, l’enfant, se sent bien seul, le génie veut le protéger, il éclaire la nuit pour adoucir le chagrin du petit garçon en colère. L’artiste élargit alors son sujet : l’hiver est-il ce royaume d’éternité glacée qui fige tout ce qu’il touche comme dans le conte La reine des neiges ?

Le Génie de l’hiver entraîne alors son protégé dans un voyage dans le ciel nocturne, où l’on devine le minutieux travail du pinceau de Lee Soyung dans la reprise des ombres des troncs de la forêt qui ceinturent une voie lactée aux allures de grotte isolée et iridescente dans l’immensité céleste. L’elfe et l’enfant courent dans le sillage des étoiles jusque dans le ventre de la Terre, là où « tout commence », là où naît la vie : on s’amuse à en deviner les promesses dans les creux d’un univers aux tonalités chaudes, pourpres, violines, mordorées, un univers aux multiples réseaux tracés par l’artiste en autant de veinules qui transportent la vie. L’hiver dans ses reflets bleus glacier, ne peut pas emprisonner cette vie qui « pousse, tout doucement », inexorablement. Lee Soyung dessine de multiples échelles pour remonter dans la glace comme on remonte de sous un océan. Puis, elle déploie sur la double page suivante toute l’alchimie du spectre lumineux, couleurs diffractées bordées par les hautes cimes découpées des sapins noirs, et puis par celles des sommets enneigés. L’image de l’enfant songeur, allongé sur un lac de montagne gelé évoque le travail du reflet d’un autre grand plasticien coréen, Kim Jae-hong dans son album Les enfants de la rivière. Le reflet comme figuration de l’inconscient, du désir, du rêve. Quand il observe attentivement, Solal voit son double, qui l’attend. Le Génie de l’hiver peut alors le raccompagner, et file comme une flèche dans le ciel au-dessus de la ville, l’enfant accroché sur son dos…

C’est qu’une surprise de taille attend notre jeune solitaire, dans l’appartement douillet. Bientôt, la page résonne de rires d’un jaune orangé lumineux. L’elfe prend alors le chemin du retour, serrant contre lui une petite étoile, celle de son ami Solal, alors que sous la neige, Lee Soyung fait réapparaître les ramures vertes des sapins…

On n’en finira pas de lire et relire ce splendide album aussi riche de messages que de prouesses picturales: une fois de plus, Lee Soyung nous ravit et nous réchauffe le cœur.


Quand arrive l’hiver
LEE Soyung
Éditions de l’Élan vert, 64 pages, 17€

Documentaliste dans l' Education Nationale, et très impliquée dans la promotion de la littérature pour la jeunesse, j'ai découvert la production coréenne il y a plusieurs années, et j'ai été emballée! Je m'attache donc dans Keulmadang à en partager les délices avec les lecteurs, sans m'empêcher parfois de chroniquer un roman ou une bande dessinée pour les plus grands.

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