Pour une fois laissons la parole au préfacier Jean-Noël Juttet pour présenter cet ouvrage : « Je dirais, pour finir, que la richesse de ce livre tienne en grande partie, outre la connaissance intime qu’a l’auteure des réalités sociales et culturelles qu’elle analyse, à l’attention portée à l’évolution des traits observés ». Ce livre de l’éditeur L’Asiathèque est issu d’une collection « 80 mots », destinée à comprendre rapidement la culture d’un pays donné, au travers de 80 mots usuels. Dans le livre de Martine Prost, qui fait suite à un autre ouvrage Scènes de vie en Corée, nous retrouvons les mots qui reviennent très souvent dans la bouche des Coréens. Par exemple, l’inévitable Han 한 et le non moins inévitable « attachement », Jeong 정 mais aussi des mots plus rares comme « copier-coller » boksahagi-bucheoneoki 복사하기-붙혀넣기 qui, outre sa traduction littérale, signale aussi une impression de déjà vu, de déjà fait. Martine Prost dresse le portrait d’une Corée aussi contemporaine, avec le mot « apparence » par exemple, oeomo 외모, dont l’usage à fortes doses est récent, que traditionnelle avec « piété filiale » par exemple, hyodo 효도, moins souvent employé mais tout aussi capital.
Les mots attendus ne sont pas absents, tel le controversé Han 한 réputé intraduisible bien qu’il puisse être explicité, que l’auteure traduit par « ressentiment » dans la table des matières et qui nous paraît la traduction la plus proche de l’idée, même si dans le corps du texte, elle énumère un certain nombre d’items tout aussi justes. « Toilette », mot très important dans la culture quotidienne, tant il est facile de se délester en Corée, quand on est dans la rue par exemple. Un ami coréen me disait à propos de la France « qu’est-ce que c’est que ce pays où on ne peut pas faire pipi n’importe où quand on est dans la rue ». Il voulait dire par là qu’il est facile d’aller aux toilettes en Corée, dans le hall d’un bâtiment, dans une galerie ou encore dans un magasin. Et gratuitement, bien entendu. Dans certains cafés en France, si on ne consomme pas, il faut payer pour aller aux toilettes. Sans parler de nos gares SNCF et leurs tourniquets ou les urinoirs publics payants.
Le « mariage » gyeolhon 결헌, autrefois étape obligatoire avant un âge donné et qui devient aujourd’hui non seulement un sujet de contestation de sa nécessité aussi bien que le marchepied du divorce, impensable autrefois. Bon nombre de nos jeunes amies n’hésitent pas à franchir la limite fatidique des 28 ans, voire des 40 ans pour les filles, refusant ainsi ce qui est très souvent considéré aujourd’hui comme un asservissement, notamment quand celui-ci est fait par intérêt ou par intermédiaire.
On découvrira dans ce petit volume, une mine d’informations, de partis-pris le plus souvent contextualisés et historicisés, que le voyageur novice pourra considérer comme un manuel de culture au quotidien. Mais le lecteur averti sera aussi étonné de l’évolution linguistique du parler coréen, tel ce fameux « restaurant » reseutorang 레스토랑, d’usage récent, servant à distinguer le restaurant noble du plus populaire siktang 식당, avec l’apparition de mots et de formes d’écriture (notamment dans les SMS et autres messageries instantanées) que parfois même les Coréens d’âges moyens ne connaissent pas. On rira au mot « nourriture » eumsik 음식 avec le si vrai : « Les Coréens mangent la bouche pleine » dont nous avons toujours une belle démonstration dans les dramas ; le polémique « Corée du Nord », bukhan 북한, le texte est plutôt neutre malgré le bien intéressant « Les missiles balistiques sont ses joujoux ,– et des joujoux utiles ». Mais la conclusion, elle, est révélatrice de la situation géostratégique : « Les Coréens du Nord ne sont pas nés de la dernière pluie ».
Il faut lire ce livre, et apprendre en s’amusant, utile aux voyageurs, utile aux connaisseurs, car au-delà des mots, c’est un petit panorama de la culture qu’il propose. Les mots sont romanisés et cette romanisation respecte les directives gouvernementales coréennes qui rendent la lecture facile, puis écrits en Hangeul et enfin en caractères chinois. Laissons à nouveau la conclusion au préfacier : « Ce livre prolonge et approfondit Scènes de vie en Corée. Il va plus loin, à mon sens, il touche à l’âme coréenne, de manière fine et argumentée. » Et le dernier mot à l’auteure : « Et bien sûr il y a des manques. Un lecteur qui aime les animaux s’étonnera de voir que je n’en parle pas. Un autre passionné de musique, se désolera peut-être qu’elle soit si peu présente… Mais on me pardonnera, je l’espère, car je parle du rire et de bien d’autres choses. » Effectivement l’auteure Martine Prost est toute pardonnée.
Quatre-vingts mots de Corée du Sud
Martine Prost
L’Asiathèque, 2023, 16,50€