Chroniques Cinéma/Drama Romance

Past Lives – Nos vies d’avant

La réalisatrice Celine Song fait ses débuts avec brio, dépeignant une relation étalée sur trois décennies, entre la Corée du Sud et l’Amérique du Nord.

Qui ne s’est jamais demandé comment sa vie aurait pu être si une décision avait été prise différemment ? Celine Song, réalisatrice sud-coréenne et canadienne, décide d’adresser ce questionnement universel avec son premier long métrage en nous plongeant dans la vie de Hae Sung (Teo Yoo) et de Na Young (Greta Lee). Les deux amis d’enfance se voient séparés quand la famille de celle-ci décide d’émigrer au Canada. Après s’être retrouvés par hasard sur Facebook des années plus tard, leur relation, incapable de résister face au poids de la distance et du décalage horaire, s’interrompt à nouveau. Une autre décennie s’écoule lorsque Hae Sung décide de se rendre à New York, ville où Na Young s’est installée avec son mari. Les deux amis se retrouvent le temps d’une semaine durant laquelle ils se questionneront sur la notion du destin et la valeur de l’amour.

« Il y a un mot en coréen : inyeon. Ça veut dire providence… ou destin. » 

Avec ce long métrage largement autobiographique, Celine Song aurait pu tomber dans le cliché du triangle amoureux régi par le destin, ce dernier poussant inévitablement deux âmes sœurs à se retrouver. Elle parvient pourtant à nous livrer une fresque magnifique grâce à la force et à la justesse de son écriture, notamment celle des personnages. Il y a Nora (nom américanisé de Na Young), l’écrivaine à l’ambition beaucoup trop grande pour être satisfaite dans la petite Corée du Sud, Hae Sung, l’archétype du Coréen réservé, ingénieur lambda et fils unique subissant la pression d’effectuer un bon mariage, et enfin Arthur (John Magaro), l’écrivain américain, représentant beaucoup plus que le simple mari ennuyant faisant obstacle au destin. Les films, séries et livres ont conditionné le public à haïr le troisième personnage d’un triangle amoureux, pourtant, Arthur est décrit avec une intelligence remarquable : malgré sa méfiance et ses propres insécurités, il soutient sa femme, parle avec elle librement et surtout, ne la met jamais dans un ultimatum impossible. 

Les dialogues ne tombent jamais dans l’excès, mais contiennent exactement ce qu’il faut pour faire preuve d’un réalisme poignant. Les discussions entre Nora et Arthur ne virent jamais en simples crises de jalousie mais prônent au contraire la confiance et la communication au sein du couple. La conversation entre Na Young et Hae Sung au bar est quant à elle emprunte de regrets, de réalisations mais également de respect, de bienveillance et de douceur.

Le film peut également s’appuyer sur les interprétations épatantes de ses deux acteurs principaux : c’est à travers leurs silences et leurs regards que les personnages explorent la multitude de possibilités que la vie aurait pu leur offrir. Et si ? Et si la famille de Na Young n’avait pas émigré au Canada ? Et si Na Young et Hae Sung avaient pu grandir ensemble, vivre une vie à deux ? Et s’ils s’étaient mariés, avaient eu des enfants ? Leurs langages corporels nous font ressentir la gêne de leurs retrouvailles, mais aussi la pudeur et l’affection éprouvées entre eux.

Et entre eux, il y a ce qui les rapproche mais aussi ce qui les éloigne. Les deux personnages sont présents sur le même plan mais, en même temps, quelque chose fait obstacle : des escaliers empruntés par l’une tandis que l’autre continue sa route, un arbre, une barre de métro, un écran d’ordinateur… L’affiche en elle-même est magnifique avec ces deux amis, au premier plan, proches et éloignés à la fois, ainsi qu’un carrousel dans l’arrière-plan, témoin d’une enfance passée.

Et si il y a bien un évènement venant défier le destin, c’est l’immigration de Na Young et sa famille. La question de l’identité est abordée plusieurs fois au cours du film, notamment à travers le rapport à la langue maternelle : les oreilles familières avec la langue coréenne remarqueront l’accent de Nora et celle-ci rêve majoritairement en coréen, créant un espace inaccessible par son mari. Pourtant, quand elle se retrouve face à Hae Sung, elle se sent à la fois plus, mais aussi moins coréenne. Ce conflit d’identité et d’appartenance, si fréquent chez les immigrés et les enfants d’immigrés, est personnifié via les personnages de Hae Sung et d’Arthur. Lorsque les trois protagonistes sont ensemble, Nora doit s’improviser interprète et embrasse ses deux cultures, choisissant ce qui est essentiel à traduire et ce qui restera dans l’intimité des deux amis.

Avec pas moins de cinq nominations aux Golden Globes 2024, Past Lives – Nos vies d’avant est un petit bijou signé A24, une société indépendante américaine de production en plein essor. En s’affranchissant des conventions traditionnelles, Celine Song signe un premier film dramatique poignant aux personnages attachants, poussant le spectateur à se questionner sur ce qu’il pense savoir de l’amour : l’amour épique auquel on est destiné est-il le seul véritable amour ou au contraire est-ce plutôt l’amour que l’on choisit et que l’on construit ? L’amour est-il singulier ou pluriel ? Que privilégier : amour ou carrière ? 


Past Lives – Nos vies d’avant
Réalisé par Celine SONG
A24, Killer Films, CJ ENM, 1h46, 2023

A propos

Titulaire d'une licence LLCER Trilangue Anglais-Coréen à l'Université Aix-Marseille, je suis actuellement en année de césure avant mon Master. Passionnée par la littérature et le cinéma, les productions coréennes me permettent d'aimer et de comprendre chaque jour un peu plus ce pays.

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