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Interviews de Claire Sebahoun et Tania Roumane, contributrices Keulmadang

Unnie
Appellatif qu'utilise une femme plus jeune envers une femme plus âgée.
Café event
En Corée, il est fréquent que des événements soient organisés dans des cafés ou autres lieux publics pour l'anniversaire d'un idol, acteur, etc...
Jeonju
Capitale du Jeolla du Nord, connue pour son patrimoine historique.
Ahjumma
Appellatif désignant une femme d'un certain âge.

Pour fêter les 15 ans de la revue, nous mettons à l’honneur l’équipe actuelle de Keulmadang. Après les interviews des deux contributrices Jeanne Argemi et Véronique Cavallasca, nous vous proposons les portraits des chroniqueuses Claire Sebahoun et Tania Roumane. Les entretiens ont tous été menés par Aurélia Morano, étudiante dans le domaine des lettres et de l’édition.


Portrait de Claire Sebahoun

Bonjour, tout d’abord j’aimerais que tu te présentes rapidement ainsi que le parcours qui t’a amené à travailler pour la revue littéraire coréenne Keulmadang.

Je m’appelle Claire Sebahoun, j’ai vingt-six ans et je suis titulaire d’une licence et d’un master de Recherche en Lettres Modernes, que j’ai complété par un master Monde du Livre à Aix-Marseille Université. Dans le cadre de ce dernier, j’ai eu l’opportunité de réaliser un stage aux Éditions Decrescenzo, et à l’issue de celui-ci, on m’a proposé de rester au sein de l’équipe en tant qu’assistante éditoriale. J’y suis toujours depuis. C’est dans le cadre de ce stage que l’on m’a proposé d’écrire une chronique pour la web-revue Keulmadang. À la même période, j’ai rencontré Laurie et Faustine, co-rédactrices en chef de la revue, avec qui j’ai sympathisé. Depuis, je collabore à la web-revue et au comité de rédaction du format papier. J’ai assez peu de chroniques à mon actif, ma collaboration est relativement distanciée du travail hebdomadaire de l’équipe.

En 2023, j’ai également participé à la publication de la version papier à la fois en tant que rédactrice et assistante éditoriale.

Merci. Si on se penche sur ton travail littéraire, pourrais-tu nous expliquer ton rapport à la littérature coréenne, comment en es-tu venue à te passionner pour celle-ci et nous donner ton genre préféré ?

C’est une question un peu complexe pour moi. Avant mon stage aux Éditions Decrescenzo et ma rencontre avec l’équipe, je ne m’intéressais pas vraiment à la littérature et la culture coréennes. Ces dernières m’étaient même totalement étrangères. Lorsque j’ai commencé mon stage, je n’étais pas focalisée sur la ligne éditoriale mais plutôt sur les activités inhérentes au secteur. Au fil du temps, j’en suis venue à porter un réel intérêt à l’ère géographique et aux perspectives littéraires offertes par l’Asie du Sud-Est. De manière générale, je suis plus attachée aux auteurs qu’aux genres. Je ne peux pas dire que je suis une lectrice de thriller, par exemple, mais je me passionne cependant pour des auteurs bien identifiés au sein de la littérature coréenne.

Pourrais-tu aussi nous parler de ton auteur préféré ou de plusieurs auteurs ou titres qui t’ont marquée ?

Depuis que j’ai découvert Choi Jae-hoon, je suis particulièrement fascinée par son univers romanesque. Plusieurs de ses œuvres ont été publiées chez nous ainsi qu’aux Éditions Picquier. Les titres que je conseillerais et qui m’ont profondément marquée font partie de mes premières chroniques. Dix petits meurtres, qui reprend le squelette d’une intrigue parmi les plus célèbres d’Agatha Christie. Choi Jae-hoon y développe une esthétique sombre, avec une dimension psychologique très profonde et un style surprenant de bout en bout. Du même auteur, celui qui m’a le plus bouleversée s’intitule Le Château du Baron de Quirval, édité aux Éditions Decrescenzo. De façon surprenante, c’est un livre pour les lecteurs, car il convoque des hypotextes très variés, avec de nombreux renvois au patrimoine littéraire mondial. Dans ce livre, l’auteur parvient à instrumentaliser les attendus du bibliophile pour mieux le leurrer d’une fausse certitude à l’autre. La construction de l’intrigue est à l’opposé de la linéarité, avec une temporalité floue et des bonds en arrière incessants, c’est assez inédit.

Si on se penche sur tes chroniques publiées dans la web-revue, quels sont tes thèmes de prédilection et si tu devais en conseiller une seule quelle serait-elle ?

Je n’ai pas de genre de prédilection. Lorsque je chronique un roman, c’est habituellement Laurie qui déniche des ouvrages susceptibles de me plaire. Je ne fais pas de veille sur les sorties littéraires et j’ai une confiance aveugle dans ses recommandations. Évidemment, je ne chronique pas les titres sur lesquels j’ai travaillé au sein de la maison d’édition, cela restreint donc les possibilités. Il y a quelques mois, on nous a proposé de décrire notre spécialité littéraire en une phrase. Je me suis proclamée celle qui aime explorer les mondes littéraires audacieux. Je ne suis pas portée sur une tendance particulière en littérature mais plutôt sur les univers ambitieux et indisciplinés.

Pourtant, celle de mes chroniques que je conseillerais le plus est celle du roman Le grand magasin des rêves de Lee Mi-ye paru aux Éditions Picquier en début d’année. Même si ce livre m’a laissé une impression de trop peu, je pense que cette chronique est assez fédératrice et invite la variété des lecteurs à aborder le roman sous des angles divers. En ce moment, en Corée, il y a une grande tendance à situer l’intrigue dans des commerces, comme une laverie (La fabuleuse laverie de Marigold), une librairie (L’Odeur des clémentines grillées), un magasin un peu fantastique (Le grand magasin des rêves)… C’est un véritable lieu commun, et ma démarche était de l’envisager sous un aspect plus intertextuel qu’esthétique.

Quel est ton rapport à l’écriture au sein de Keulmadang et comment procèdes-tu dans tes chroniques ?

Je suis assez lente lorsque j’écris, c’est pour cela que je chronique peu. Je lis toujours avec, à portée de main, un carnet dans lequel je note toutes mes impressions de lecture, j’ai aussi des petits post-its rectangulaires que je colle sur les passages qui m’inspirent. Je travaille à mon bureau pour être bien concentrée, alors ce n’est pas vraiment une lecture plaisir. À partir de mes annotations, je rédige environ deux pages Word.

Mes chroniques ne sont pas très longues et je me laisse porter au fil de la plume. J’essaye d’être concise et de rendre la complexité du roman sans dévoiler l’intrigue. C’est un peu une invitation pour le lecteur à l’immersion complète dans un monde littéraire inconnu et au partage des sensations que j’ai éprouvées lors de ma lecture. En ce qui concerne la rédaction finale, je la commence souvent après avoir achevé le livre, même si certains paragraphes naissent en parallèle dans mon carnet.

Est-ce qu’il existe des sujets en lien avec la Corée, liés à l’actualité, la société ou la culture, que tu trouves relégués au second plan parmi le paysage littéraire et que tu aimerais voir traités plus souvent ?

Ma connaissance de la culture coréenne n’est malheureusement pas assez développée pour apporter une réponse constructive. Toutefois, un sujet qui m’intéresse vraiment c’est le rapport au vivant et à la nature. J’ai l’impression que l’on a peu accès à un contenu portant sur ces thématiques. Je ne crois même pas qu’il en existe traduit en français. Pour ceux que l’écopoétique intéresse, ma recommandation est un essai un peu hybride paru aux éditions Corti en 2022 et écrit par Marielle Macé, professeure de littérature à l’EHESS. Il s’intitule Une pluie d’oiseaux. Dans ce livre dense, elle parle de la vocation poétique des oiseaux et j’adorerais découvrir des pendants de ce genre parmi la littérature coréenne.

Souvent, lorsqu’on fait référence à l’étranger à la culture coréenne, on se base sur leur soft power et la hallyu qui a façonné depuis plusieurs décennies une image bien précise de la Corée. Comment as-tu l’impression qu’est perçue la culture coréenne à l’échelle nationale française et que pourrait-on mettre en place afin de la promouvoir davantage ?

Le soft power coréen, comme celui du Japon avant lui, a été introduit par la culture dite populaire (en l’occurrence le webtoon et les dramas). La tradition culturelle française a tendance à séparer les genres dits nobles des genres populaires. Cela entraîne un préjugé de principe, reléguant la littérature coréenne au second plan parmi les autres littératures étrangères disponibles. Il serait tout à fait juste que les grands auteurs coréens accèdent à la même légitimité que les grands auteurs américains par exemple.

Je déplore un peu que l’image de la Corée soit systématiquement reliée à la littérature feel good. La vision de la Corée du Sud en France est le reflet des attentes des lecteurs qui sont très axés sur les thématiques de healing. Cela traduit une vision très fantasmée d’un ailleurs qui prône des valeurs de calme, de tranquillité… Mais la récente attribution du Prix Nobel de littérature à Han Kang a été une grande surprise, qui ouvre maintenant la littérature coréenne à l’infinité des possibles. Keulmadang, à cet égard, est précurseur en tant que première revue de littérature coréenne en France, et sert de porte-voix à une espèce de contre-courant, en traitant toutes les thématiques de façon aussi approfondie.

En matière de littérature, penses-tu qu’il faudrait changer la manière de la promouvoir à l’international ? Car on observe souvent en librairie des tables dédiées à la littérature asiatique avec majoritairement de la littérature japonaise et un peu de littérature coréenne et chinoises. On a donc une forme de hiérarchie qui s’est établie. Que penses-tu de cette catégorisation ?

Ce sujet me semble assez insoluble parce que toutes les librairies n’ont pas le même fonctionnement, ni même de rayon dédié à la littérature asiatique. Dans la plupart des librairies, qui regroupent les littératures asiatiques sur une même étagère, il y aura nécessairement un petit fonds de quelques livres coréens attendus (Han Kang, peut-être Cho Nam-joo, par exemple, et la littérature healing). Il faut aussi relativiser et comprendre que la littérature coréenne n’en est finalement qu’au début de sa percée. Les éditeurs, même généralistes, s’y intéressent de plus en plus. Pour autant, la majorité de la population française n’a pas vraiment idée de ce qui se déroule en Corée, que ce soit en termes de politique, de culture ou de société. Donc je pense que l’étagère dédiée à la littérature asiatique a déjà le mérite d’exister. S’il y a des libraires passionnés pour défendre les titres coréens, c’est encore mieux, mais ça reste tout de même rare. En tant qu’éditeurs, nous réfléchissons beaucoup à la manière de toucher un public le plus varié possible, même si le choix de la spécialisation est, par essence, restrictif.

Quel rapport personnel entretiens-tu avec la culture et l’art de vivre coréen et quels seraient tes projets en lien avec la Corée ?

Mis à part mon travail quotidien sur la littérature, je n’entretiens pas de liens spécifiques avec le pays. J’ai quand même une grande chance de découvrir chaque jour de nouveaux titres et les spécialités culinaires coréennes lors de repas partagés avec l’équipe de la maison d’édition. Depuis que j’ai mis un pied dans la culture coréenne et son art de vivre, j’essaie de me rapprocher de certains principes philosophiques coréens au quotidien. Concernant mes projets, ils ont été bouleversés par le récit de voyage de Jeanne, qui m’a fortement donné envie d’aller visiter certaines régions du pays, en particulier l’île de Jeju. Je me sens un peu appelée par cette île et j’aimerais beaucoup m’y rendre un jour.

Merci beaucoup pour cet échange !


Portrait de Tania Roumane

Bonjour, tout d’abord j’aimerais que tu te présentes rapidement ainsi que le parcours qui t’a amené à travailler pour la revue littéraire coréenne Keulmadang.

Je m’appelle Tania et j’ai 22 ans. Je suis actuellement en échange universitaire en Corée pour ma troisième année de LLCER trilingue anglais, coréen, chinois. J’ai connu Keulmadang au cours de ma formation par le biais de ma professeur, Kim Hye-gyeong, qui est très impliquée dans la promotion de la culture du pays du matin calme et a participé à rendre le département coréen très actif au sein de l’université Aix-Marseille. À ce titre, elle a fait venir un grand nombre d’auteurs coréens pour des conférences et des colloques sur leurs œuvres. Comme je m’investissais régulièrement lors de ces rencontres en participant activement au débat autour des lectures, elle m’a recommandée auprès de Monsieur de Crescenzo pour devenir chroniqueuse chez Keulmadang. Notre rencontre s’est déroulée lors d’un débat sur les œuvres de vingt-et-un poètes et nous avons pu nous entretenir brièvement sur mon rapport à l’écriture et la littérature. Par la suite, j’ai été mise en contact avec Laurie qui m’a proposée de rejoindre la web-revue. Pour moi c’était une chance phénoménale de participer à ce projet incroyable. Depuis ce jour, je chronique pour eux.

Merci. Si on se penche sur ton travail littéraire, pourrais-tu nous expliquer ton rapport à la littérature coréenne, comment en es-tu venue à te passionner pour celle-ci et nous donner ton genre préféré ?

En tant que fan absolue de BTS, lors d’une émission, j’ai remarqué que deux des membres du groupe étaient plongés dans le même livre durant plusieurs heures, ce qui m’a fortement intriguée. À partir de là, j’ai recherché le titre de l’œuvre qui s’intitulait Amande de Sohn Won-pyung et alors que j’étais dans une grande période de blocage littéraire et trop immergée dans les réseaux sociaux, ce titre m’a captivée du début à la fin et m’a donnée envie de découvrir d’autres livres du même genre. J’ai donc vite compris que les auteurs coréens arrivaient grâce à leur style et leurs intrigues à nous toucher avec beaucoup de justesse dans leur rapport à l’émotion… Cela m’a en définitive réconciliée avec la lecture dans sa globalité et m’a permis de retrouver le plaisir de lire.

Tous genres confondus, je me suis passionnée très jeune pour la dystopie. Lors de mon adolescence, je dévorais des romans tels que Divergente, Hunger Games, Le Labyrinthe… Cela faisait écho à mon âge car je pouvais facilement m’identifier aux personnages. Aujourd’hui, je dirais que je n’ai pas vraiment de genre préféré, même si toutes les thématiques tournant autour du thriller, des ambiances sombres m’attirent particulièrement… De fait, j’essaie d’être éclectique dans mes lectures et Keulmadang m’aide justement à découvrir des œuvres très diversifiées et très riches. Je cherche à ne pas m’enfermer dans un genre ou un auteur pour lire de la littérature Young Adult, jeunesse, adulte, fantaisie, fantastique… 

Ma première chronique portait d’ailleurs sur le titre Chamane Hyesu et son ange Haesu de Lim Jeong-yeon, qui avait un côté très enfantin. Récemment, j’ai découvert La fiancée du dieu de la mer de Axie Oh, qui m’a fait aimer le genre fantasy via la réécriture du conte traditionnel de Sim Cheong. Je me suis aussi tournée vers le roman noir avec Saigon Night de Jung Min qui s’est avéré très cru, très sombre et qui plonge dans les bas fonds de la vie nocturne avec son lot de casinos, de sexe, de trafic de stupéfiant et de meurtres. Toutefois, si je devais citer un réel coup de cœur ce serait Deux Coréennes de Park Jihyun et Seh-Lynn, qui diffère car ce livre biographique est abordé de manière romanesque. L’écriture de cette biographie nous transporte dans l’intimité d’une transfuge nord-coréenne en nous donnant à vivre une véritable fiction. On s’attache au personnage en dépassant la situation purement factuelle et abordant le système nord-coréen sous un aspect presque dystopique. Selon moi, le plus grand pouvoir de la littérature réside dans sa capacité à nous transporter dans une réalité différente de la nôtre en seulement quelques phrases. C’est donc vraiment une lecture immersive captivante et enrichissante que je recommanderais à tous.  

Si on se penche sur tes chroniques publiées dans la web-revue, quels sont tes thèmes de prédilection et si tu devais en conseiller une seule quelle serait-elle ?

Je suis très attachée à toutes mes chroniques mais je conseillerais particulièrement celle de 7Fates: Chakho, dans laquelle je mentionne aussi Save Me, deux manhwas créés par Hybe et liés à l’univers de BTS. Étant fan de BTS depuis presque une décennie, cet univers résonne en moi. Je m’inquiétais de ne pas être assez claire quant à la distinction entre les deux histoires (Chakho et Save Me) et risquer d’égarer les lecteurs, mais j’ai réussi dans l’écriture à trouver un angle d’approche pour rendre la comparaison entre les deux assez limpide et j’en suis assez fière. 

Dans le même registre, la chronique de La fiancée du dieu de la mer possédait les mêmes enjeux en terme de mise en relation entre le conte traditionnel issu du folklore coréen et le roman de fantasy qui remaniait l’histoire originale. Dans la mythologie coréenne, le sacrifice de la jeune femme par un biais extérieur est au cœur de l’histoire tandis que dans la seconde version, son acte est l’aboutissement de son propre choix. Pouvoir mettre en parallèle plusieurs versions d’une même histoire et relever toutes leurs divergences et subtilités me passionne profondément. 

Par rapport à BTS que tu suis avec abnégation au fil des ans, est-ce qu’il y a une véritable mouvance autour de la littérature s’emparant de l’univers de groupe de K-pop pour publier des manhwa ou des romans ?

Cela se fait de plus en plus, mais je pense que BTS ont joué le rôle de pionniers. Les manhwas que j’ai cités précédemment ne sont pas les premières œuvres à traiter de leur univers foisonnant. Chaque livre faisait le lien avec leurs clips vidéos, leurs chansons et offrait aux fans la possibilité d’enrichir leur connaissance de l’univers créé par BTS à travers une chasse aux indices. En tout, il y a eu une duologie de romans, suivie de Save Me, prouvant ainsi la richesse et le développement de leur univers musical. La K-pop se tourne de plus en plus vers des domaines externes à la musique, comme celui du livre.

Par la suite, HYBE (l’agence de BTS) a utilisé ce même procédé transmédiatique avec leurs autres groupes, comme TXT et Enhypen, et ont publié des manhwas en lien avec leur propre univers. Laurie a eu l’occasion de faire la chronique de Dark Moon, publié en France chez Neotoon, les éditeurs de 7Fates: Chakho.

Je pense par ailleurs, qu’il y a beaucoup de maisons d’éditions françaises qui surfent sur la hallyu et l’effet de mode dont bénéficie la K-pop car de plus en plus de romans portent un titre aguicheur mentionnant une romance avec des célébrités coréennes. Des romances souvent fantasmées par les fans, qui découlent des fanfictions, facilement accessibles sur Internet. Ce genre de romances basiques traduit une forte immaturité de la part des auteurs qui adoptent un style très « Wattpad ». Cela ne mérite pas selon moi d’être édité au format papier et présenté en rayon. Cette tendance se ressent aussi au sein des dramas romancés qui mettent en scène des rencontres de jeune femme et de leur « Oppa » ou chanteur idéal.

Quand j’ai commencé à m’intéresser aux contes et légendes locaux sur la mythologie coréenne, j’ai remarqué qu’il y avait très peu de livres traduits traitant de ces sujets par rapport à l’étendue de la littérature générale en France. Est-ce représentatif de la production coréenne sur le sujet ?

Je n’ai lu que peu de romans du genre mais mon constat est opposé au tien. Mon immersion dans la fantasy se basant sur des réécritures de contes ancestraux fausse peut-être mon jugement. Lisant beaucoup de littérature traduite traitant de ces sujets, j’ai l’impression que le folklore, la mythologie et les contes coréens sont omniprésents dans la production littéraire du pays. Mais connaissant mal la littérature non traduite, je ne saurais dire si le sujet de la mythologie est très présent dans les librairies coréennes.

Par ailleurs, quel est ton rapport à l’écriture au sein de Keulmadang et comment procèdes-tu dans tes chroniques ?

Je fonctionne plutôt sur recommandations car je ne suis pas assez renseignée sur les futures sorties littéraires coréennes traduites. J’ai eu parfois des envies littéraires spécifiques mais je les ai souvent mises de côté par manque de traduction française. Généralement, je cherche à découvrir toujours plus d’œuvres même si elles semblent au premier abord plus ardues à lire comme Saigon Night ou La fiancée du dieu de la mer. Ces titres m’ont d’ailleurs ouvert à d’autres genres littéraires et m’ont fait acheter des livres du même type.

Pour ma toute première chronique, je n’avais aucune technique et j’appréhendais le résultat final parce que je ressentais la pression de devoir écrire pour autrui. Je me concentrais alors trop sur la forme, ayant eu pour effet de me limiter dans l’écriture. Habituellement, je ne prends pas de notes (ou que très peu) durant ma première lecture car cela a tendance à me sortir du livre. Par contre, si je remarque un rebondissement notoire dans l’histoire je vais le mentionner avec un post-it pour mieux me repérer dans le livre plus tard lors de la rédaction. Je ne referme donc un livre que très peu pour écrire mes impressions. Quand je commence à écrire, je pars du principe que je raconte le livre à un proche, cela me permet de résumer l’intrigue clairement en mentionnant la situation initiale, les éléments perturbateurs, l’apogée… Une fois tous ces éléments énumérés pour une meilleure compréhension, je recherche des phrases d’accroches et développe les principales thématiques abordées, notamment l’aspect visuel qui reste fondamental dans les manhwas. Le but étant de donner envie au lecteur de se plonger dans le livre. Une fois la première trame terminée, je transmets le document à notre rédactrice en chef qui me fait part de ses critiques. Ce que j’apprécie infiniment, c’est qu’elle ne nous corrige pas vraiment mais dirige notre travail afin que la version définitive soit la plus aboutie possible.

Est-ce qu’il existe des sujets en lien avec la Corée, liés à l’actualité, la société ou la culture, que tu trouves relégués au second plan parmi le paysage littéraire et que tu aimerais voir traités plus souvent ?

Effectivement, les livres sur l’histoire officielle de la Corée du Sud, en particulier sur la période des Trois Royaumes ou le Goryeo, se font rares et traitent souvent ce passé historique par le biais de la fiction mais jamais vraiment en profondeur. Les deux périodes que j’ai citées précédemment m’attirent parce que les codes de l’ancienne Corée sont très riches et parce que connaître le passé historique d’un pays permet de mieux le comprendre. Connaître le passé historique d’un lieu que l’on visite apporte une autre dimension à ce dernier.

J’aimerais aussi pouvoir lire un peu plus de romans sur les relations complexes entre les deux Corées, si possible des témoignages de la population nord-coréenne. De fait, les événements marquants de leur histoire commune tels la présence d’un sous marin nord-coréen en territoire maritime sud-coréen, la fusillades à la maison bleue ou les espions envoyés du Nord occultent la voix de cette population souffrant de l’oppression quotidienne de la dictature. Néanmoins, je pense que la rareté des traductions peut s’expliquer par une production limitée car le sujet politico-historique est très compliqué à aborder dans le contexte de tension et de censure du régime de Kim Jong-Un.  

La population, à l’origine, lorsque la Corée ne formait qu’une seule entité, présentait des divergences énormes et des tensions latentes qui opposaient déjà le Nord au Sud. Toutes les traditions et la mythologie découlent du passé historique de la péninsule, il est donc important de s’y pencher. La période des Trois Royaumes (de 18 avant Jésus Christ jusqu’à 660 après Jésus Christ) regorge d’enjeux politiques, de trahisons et de domination. Ce qui diffère drastiquement de la France dans la manière d’appréhender le passé du pays, c’est la description de ces périodes comme une plongée dans l’expérience humaine reliant en  série de petites histoires formant le grand tout historique. Alors que l’histoire française telle qu’elle m’a été contée relatait uniquement des faits et des dates-clés.

Souvent, lorsqu’on fait référence à l’étranger à la culture coréenne, on se base sur leur soft power et la hallyu qui a façonné depuis plusieurs décennies une image bien précise de la Corée. Comment as-tu l’impression qu’est perçue la culture coréenne à l’échelle nationale française et que pourrait-on mettre en place afin de la promouvoir davantage ?

De nos jours, quand on parle de la Corée, on voit directement la ville urbanisée avec de grands buildings, de grands complexes d’entreprises (chaebol) et des lumières allumées en permanence. On fait aussi souvent référence au côté mignon et superficiel du pays, au travers des places touristiques de Séoul, des logos attendrissants et des K-dramas… L’aspect traditionnel et la beauté de l’architecture sont souvent survolés et ne servent de prétexte qu’à faire une jolie photo sans pour autant approcher le contexte historique en arrière plan. Évidemment, la Corée dans l’imaginaire du public, c’est aussi le poids de la chirurgie esthétique et la pression de cette société du spectacle et de l’apparence. Il faudrait davantage parler aux gens de l’après guerre car toute l’identité moderne de la Corée du Sud découle de cette période troublée et explique le rayonnement du pays du matin calme aujourd’hui… En sachant ce qui s’est déroulé depuis 1960, on comprend mieux l’origine de la pression scolaire, les hiérarchies instaurées entre les générations et l’industrie du spectacle. Il suffirait que les gens choisissent de se renseigner sur une courte période pour arriver à combattre les clichés inhérents à notre vision occidentale du pays et éviter de tomber dans une image idéalisée et très superficielles. Les livres représentent une approche possible de cette histoire pour ceux qui n’ont pas dédié leurs études à l’apprentissage de la civilisation et des coutumes coréennes.

En matière de littérature, penses-tu qu’il faudrait changer la manière de la promouvoir à l’international ? Car on observe souvent en librairie des tables dédiées à la littérature asiatique avec majoritairement de la littérature japonaise et un peu de littérature coréenne et chinoises. On a donc une forme de hiérarchie qui s’est établie. Que penses-tu de cette catégorisation ?

Je pense qu’il est dommage de cloisonner la littérature à ce point-là. Quand on n’est pas passionné par l’Asie ou la Corée, notre démarche en tant que lecteur n’est pas de se tourner vers des titres coréens spécifiques. Pour la plupart des gens férus de lectures éclectiques, la provenance des titres est secondaire. La quatrième de couverture est souvent ce qui motive à acheter un livre alors que cette optique d’association de livres diamétralement opposés, côte à côte sur une même table rebute le lecteur. Cela me semble contre-intuitif et isole les œuvres en soulignant seulement la mode pour un pays d’origine en particulier, en fonction des tendances.

Quel rapport personnel entretiens-tu avec la culture et l’art de vivre coréen et quels seraient tes projets en lien avec la Corée ?

Via ma consommation régulière de K-drama, de musique coréenne et toute la production découlant du soft power coréen, j’ai l’impression de baigner dans cette culture au quotidien. Je mange coréen, on débat et on étudie en cours la société coréenne, j’apprends la langue et l’histoire et je vis à ce jour dans le pays. De plus, le métier de traductrice-interprète m’attire vraiment. Je n’ai pas encore choisi vers quelle traduction je souhaite me tourner, que ce soit littéraire ou interprétariat… Mon domaine de prédilection étant le langage et me passionnant pour l’histoire, j’adorerais toutefois traduire, avec l’aide d’un auteur historien, des livres traitant du passé coréen.

Toi qui es en Corée en ce moment, pourrais-tu partager ton expérience en matière de cadre de vie, d’échange avec les locaux ou d’anecdotes de voyage ?

Afin de m’immerger dans la culture et la langue coréenne, j’ai choisis de faire mon échange universitaire loin de Séoul qui est une ville très bilingue et cosmopolite, je suis actuellement en échange à Jeonju. Dès le départ, j’ai refusé la facilité et le contact prolongé avec les autres étudiants français en me forçant ainsi à sociabiliser avec les locaux et améliorer mes compétences linguistiques. Avec le temps, et la vie universitaire extrêmement active, j’ai pu quand même entretenir de belles amitiés avec un petit groupe de Coréens, notamment une unnie que j’ai rencontrée dans un café-event pour Jungkook de BTS. Depuis, elle m’emmène quelques fois en excursion à travers la Corée, la dernière découverte étant Daegu.

© Keulmadang

Le plus gros « défaut » que j’ai pu ressentir dans mes relations avec les locaux est la réserve dont font preuve les Coréens concernant leurs opinions, souvent pour ne pas être en désaccord ou blesser leur interlocuteur. Je l’ai remarqué avec une amie coréenne, qui s’excusait d’être catholique alors que je suis chrétienne protestante. Ils ne se livrent pas facilement sur des sujets que nous Français pouvons aborder sans tabou. Parmi mes amis, certains ont beaucoup voyagé, et on ressent chez eux une plus grande ouverture d’esprit, cela rend le dialogue un peu plus facile.

Je me considère chanceuse d’avoir pu visiter d’autres villes comme Daegu, Jeju, Gwangju… Et je garde des souvenirs uniques et propres à chaque ville. Concernant Jeju par exemple, la différence de langue m’a frappée, le dialecte paraît si éloigné du coréen que j’ai l’habitude d’entendre que j’étais parfois perdue, particulièrement en échangeant avec des personnes âgées à l’accent très marqué. Et malgré les idées reçues d’enclave renfermée sur elle-même, l’île abrite une population très ouverte aux étrangers. Je pense qu’il y règne une mentalité propres aux îles que l’on retrouve partout dans le monde.

Mon expérience à Séoul se résume pour l’instant à de brefs passages, mais j’y perçois un avant-goût du « ppalli ppalli » et n’en garde pas un très bon souvenir. À Jeonju, où je vis, je trouve que les ahjummas sont curieuses, chaleureuses et accueillantes. Dès mon premier jour ici, au restaurant, j’ai beaucoup échangé avec la propriétaire… dans un coréen approximatif. Mais les Coréens sont réellement touchés de voir que des étrangers apprennent leur langue maternelle, ou ont une connaissance du pays qui dépasse celle de la hallyu. De manière générale, on m’a aussi souvent questionnée sur mon parcours, ma vie, mes proches, ou offert des friandises… J’ai été très émue par ces moments-là.

Est-ce que tu as pu observer le rapport des Coréens à la littérature sur place ? 

À mon sens, dans les grandes villes autre que la capitale, la lecture semble toujours faire partie du quotidien sans être omniprésente… Il reste très habituel de croiser des gens dans un parc en train de lire. L’âme de Jeonju est plus calme et posée que Séoul, cela offre un cadre propice.

As-tu remarqué certains livres en librairie qui t’attirent ou que tu aimerais voir traduits ? 

Bien sûr, souvent. J’avais repéré une couverture sublime, rouge avec des touches de blanc, sûrement un polar. L’esthétique des livres coréens est très différente des couvertures qu’on voit en France. Ce qui est marquant, c’est aussi la grande différence de prix avec la France. Les livres coréens sont bien moins chers. Je trouve dommage que cela ne contribue pas à rendre le livre plus accessible aux Coréens pour autant.

Néanmoins, il me semble que les lecteurs coréens ont conservé un grand respect de l’objet livre en lui-même. Bien que lus et empruntés à répétition, les ouvrages dans les bibliothèques ne sont que très peu abîmés lors de leur retour sur les étagères.

Pour conclure cette interview, aurais-tu envie d’aborder un sujet dont nous n’avons pas encore parlé ?

J’étais récemment de visite à Jinju pour le festival des lanternes, commémorant la victoire contre les Japonais pendant les guerres Imjin en 1592. J’ai passé le premier soir à vagabonder autour de la forteresse Jinjuseong, et le deuxième dans une maison de thé traditionnelle. Là-bas, une femme m’a invitée à sa table auprès de plusieurs personnes d’âge moyen. Lorsque j’ai dit venir d’Aix-en-Provence, un homme à la table, le plus discret, s’est soudainement extasié et m’a posé plusieurs questions au sujet de la Provence. Son visage était radieux. J’ai discuté avec le groupe pendant quelques heures, et il se trouve que l’homme en question est un poète du nom de Sim Jae-won, qui m’a expliqué avoir écrit un poème sur la Provence dans son second recueil. Lors de cette première rencontre, il m’a offert son recueil, 그대를 보지 못해도 나는 이미 봄이네, « Même si je ne peux te voir, c’est déjà le printemps pour moi ». Évidemment, j’ai profité de l’occasion pour lui parler de mon intérêt pour la lecture et de Keulmadang.

Nous nous sommes revus à Jinju peu après, et nous avons une nouvelle fois partagé un moment chaleureux autour d’une tasse de thé et de patates douces. Nous avons rapidement traduit son poème sur Papago pour que je puisse le lire en français. Il a tellement apprécié la sonorité qu’il a filmé ce moment. Le hasard de me trouver dans cette maison de thé traditionnelle m’aura permis de rencontrer de belles personnes et d’établir des liens sur le plan personnel, et potentiellement professionnel, ce que je chéris énormément.

Merci beaucoup pour cet échange !

A propos

Après des études de lettres modernes, je me suis orientée vers un master dans le domaine éditorial. J'ai découvert la littérature asiatique au lycée avec les mangas, webtoons, k-dramas, k-pop et j-pop. Je m'intéresse particulièrement aux littératures de l'imaginaire, les thrillers et les tranches de vie. Au vu de mon intérêt grandissant pour la culture coréenne, j'aimerais partir au contact de la population en favorisant une démarche éco-responsable.

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